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Chasse à courre : reportage au cœur d'un équipage

Publié le
29/11/2019

Forêt de Moulière. L'équipage du Haut Poitou se prépare à partir à la chasse au cerf. Au "Noble Cerf", comme le prétend le titre de ce documentaire filmé par Arthur Gal, qui tente de recueillir à la fois les témoignages des veneurs et les voix de ceux qui s'y opposent.

Une pratique de codes et de rites

Cette plongée au sein de la chasse à courre permet d'entrapercevoir l'envers du décor d'une pratique de plus en plus critiquée, mais à laquelle ses amateurs s'accrochent. La vénerie, chasse à courre, à cor et à cri, est un monde de tradition, bien à lui, avec son vocabulaire et ses codes, comme l'explique en début de documentaire Christian Trouvé, maître de l'équipage du Haut Poitou, qui parle même d'un langage "un peu ésotérique".

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La chasse s'organise en plusieurs étapes, de la préparation à la mort de l'animal. En amont, une dizaine de personnes s'affairent à "rembucher" un cerf ; en d'autres termes, à repérer l'animal afin de permettre ensuite à la meute de le traquer. "C'est tout un art", insiste Christian Trouvé.Les chiens jouent un rôle majeur dans la chasse ; ce sont eux qui pistent le cerf, même si le maître d'équipage tient à préciser :

C’est le cerf qui commande la chasse. Nous, on suit, on essaie de suivre.

Chasse à courre, un liant social à la campagne

Le documentaire met parfaitement en lumière l'aspect relationnel de la chasse à courre. Les veneurs ne sont pas seuls à chasser. Ils sont accompagnés de suiveurs – dont des enfants – à pied, en voiture, ou à vélo, qui assistent à chaque moment de la chasse. Celle-ci devient aussi un support de rencontres, un facteur de lien social.

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La chasse est un spectacle. "Vous entendez comme ça crie ? C’est magnifique.", s'exclame même un des suiveurs, parmi lesquels certains prennent même des photographies pour immortaliser le moment. Chaque instant est mis en scène. La mort du cerf, notamment, saluée par les trompes et les cors, alors que les chasseurs et leurs suiveurs sont réunis autour de la carcasse.

Pour l'amour de la nature et de la tradition...

Les chasseurs se réfugient derrière l'argument de la tradition et de la nature pour justifier la légitimité de la vénerie. Antoine Gallon, porte-parole de la société de vénerie, explique que "la faune sauvage se répartit en deux catégories, les proies et les prédateurs". Un sentiment partagé par un autre chasseur, qui déclare :

Leur vie n’est pas faite pour mourir de vieillesse. Leur vie, c’est de vivre suffisamment, et après d’être pris par le sauvage.

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Autre argument : l'opposition entre citadins, qui ne peuvent par définition pas comprendre la chasse à courre, et les ruraux, qui la vivent. La tradition, parce qu'elle existe, doit donc continuer à le faire, sur le simple principe qu'elle est ancrée dans le temps et ne peut être remise en cause.

Une chasse de plus en plus décriée

Mais les chasseurs ne sont plus les seuls à "traquer" le cerf. Depuis 2017, le collectif AVA tente par tous les moyens de s'opposer à la vénerie. Rodolphe Tréfier revient sur les débuts de l'association :

Le collectif AVA a été créé il y a deux ans. Cela a été créé en 2017, début 2017, par des riverains, qui en avaient marre de la chasse à courre et de l’occupation sans concession des équipages, qui prennent en otage les villages, les habitants. Et bien sûr pour lutter contre la souffrance qu’ils peuvent infliger aux animaux qu’ils vont traquer pendant toute une journée, plusieurs heures.

Pour AVA, le but est désormais de perturber les chasses. Les veneurs ont répliqué en mettant en place des personnes chargées d'encadrer les militants, afin, selon leurs dires, d'éviter les débordements. Pour Rodolphe Tréfier, il s'agit surtout de les empêcher de filmer, et notamment de filmer la mise à mort de l'animal.

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Car paradoxalement, si Antoine Gallon assure que les veneurs, eux, ne cherchent pas à esquiver la mort contrairement à un monde désormais plus dans le déni du trépas, le reportage évite soigneusement de filmer le chasseur en charge d'achever le cerf d'un coup de dague. Choix du réalisateur ou demande des veneurs ?

Des affrontements et une opposition grandissante

À écouter le porte-parole des chasseurs, ceux-ci sont victimes de l'incompréhension et du mépris d'une population incapable – et qui refuse de – de les comprendre. Mais sur le terrain, les chasseurs peuvent aussi se montrer violents à l'égard des opposants, tant les tensions sont fortes – chose que le reportage ne montre pas.Dans les colonnes d'un article de Libération, Rodolphe Tréfier confie :

Un veneur a été condamné pour violences sur un militant en forêt de Compiègne. En mars [2019], cinq autres chasseurs ont été placés en garde à vue à Montfort-sur-Meu, en Bretagne, pour violences aggravées.

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Les chasseurs répliquent, organisant eux-mêmes des rassemblements de soutien, pour "défendre une certaine façon de vivre et d’être". Mais la chasse à courre n'a pas la cote près des Français, bien loin de là. Aujourd'hui, 84 % de la population de l'Hexagone s'y oppose, selon un sondage IFOP réalisé en 2017.Les incidents de chasse qui ont émaillé ces deux dernières années ont aussi dégradé l'image de la vénerie. Affaire du cerf abattu dans un jardin à Lacroix-Saint-Ouen, riverains qui font front commun contre les chasseurs pour éviter la mort d'un autre cerf à Bonneil-en-Valois, veneurs tentant à nouveau de pénétrer dans un jardin à Thiers-sur-Thève, cerf noyé dans l'Aisne par des chasseurs... Et que dire de l'affaire Elisa Pilarski, jeune femme femme enceinte de 6 mois retrouvée morte dévorée par des chiens, alors qu'une chasse à courre se tenait à proximité ?

Une interdiction possible ?

D'autres pays, avant la France, ont pris des dispositions pour faire définitivement interdire la chasse à courre. L'Allemagne l'a fait en 1934, sous l'impulsion du régime nazi sur une décision de Hermann Göring. La chasse à courre est également interdite en Belgique depuis 1995 et en Grande-Bretagne depuis 2005.La France peut-elle faire pareil ? À l'heure actuelle, la réponse penche plutôt vers le non. Les chasseurs jouissent en effet d'un soutien politique de poids en la personne du président de la République. En novembre 2017, Emmanuel Macron avait en effet déclaré :

Les chasses traditionnelles font partie du patrimoine de notre pays, elles ne nuisent en rien aux espèces que l’on chasse et elles sont le reflet des traditions d’un terroir et d’un mode de vie.

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Plusieurs députés ont déjà tenté de s'opposer à la chasse à courre, via des propositions de loi visant à l'interdire. En mars 2018, Bastien Lachaud (La France Insoumise), avait, avec plusieurs autres élus de formation diverse, rédigé un texte demandant l'interdiction de la chasse à courre en France. En novembre 2017, l'ancienne ministre Laurence Rossignol avait elle aussi soumis un texte pour éradiquer la vénerie dans l'Hexagone, en vain.Mais la mort tragique d'Elisa Pilarski, si elle s'avérait bel et bien consécutive à l'attaque d'une meute de chiens de chasse à courre, pourrait peut-être faire accélérer les choses. À l'heure actuelle, l'enquête ne peut encore déterminer quels animaux ont provoqué le décès de la jeune femme.[embed]https://www.youtube.com/watch?v=p1--bFtXifM[/embed]